10/09/2013

Les vieux sont l'avenir des jeunes. Plaidoyer pour repenser (intelligemment) le système de retraites

Périodiquement, à chaque réforme des retraites, on s'insurge, on s'étrangle, on s'égosille, mais à l'arrivée, on nous dit que l'érosion des retraites c'est comme la fonte des glaciers, c'est inéluctable.

On s'accroche à notre système de retraites, comme à son bout de banquise en train de fondre, et tout préoccupés à s'agripper, on ne pense pas à regarder à côté. D'où vient donc cette cécité?



L'épouvantail qui nous empêche de réfléchir

Mon hypothèse est qu'à force de se voir proposer une solution de retraites par capitalisation pour remplacer notre système par répartition, nous nous sommes mis à penser binaire.
Capitalisation =  capitalisme.
Répartition = solidarité.

L'épouvantail de la retraite par capitalisation a fini par nous persuader que notre actuel système par répartition était le dernier sanctuaire de la solidarité, encore non colonisée par le système capitaliste et qu'il faudrait préserver à tout prix, sous peine de capitulation irréversible. Le mot "répartition" lui même est joli, il évoque le partage, la solidarité, bref l'opposé du capitalisme individualiste, avare et inégalitaire. Du coup on est prêt à tout sacrifier, à reculer sans cesse, pour conserver cet acquis symbolique, la retraite par "répartition".
Mais on répartit quoi au juste dans le système actuel?
Attention, ne croyez pas que je veux achever le système par répartition pour ouvrir un boulevard pour la capitalisation. Au contraire, je souhaite mieux répartir encore.

Une répartition relative

Actuellement, on prélève sur le salaire de l'employé une part destinée à indemniser les retraités actuels, et pour le remercier de sa générosité, il bénéficiera plus tard du système. Ce n'est pas vraiment une répartition, ni un partage.
C'est juste un système individualiste (chacun cotise quand même pour sa pomme au final) qui évite de stocker l'argent qu'on cotise jusqu'à sa retraite. Cela présente donc quelques avantages (et beaucoup d’inconvénients pour les capitalistes, qui s'étranglent de voir tout cet argent qui pourrait être stocké mais qui ne l'est pas), mais ce n'est pas non plus un chef d'oeuvre de solidarité.

On s'accroche donc à ce système d'après-guerre, où pour des raisons historiques on a décrété que le financement de tout ce qui touche aux financements liés au monde du travail était du ressort des patrons et des syndicats, et non de la République, et accessoirement du débat démocratique.
Pourtant la question de la solidarité collective vis à vis des anciens, des malades et des chômeurs, n'est-ce pas un enjeu d'intérêt général qui dépasse largement les compétences de nos chers patrons et syndicats, qui montrent chaque jour depuis un siècle leur sens des responsabilités et de l'éthique vis à vis de la chose publique (ironie) ?

Taxer la masse salariale, pour conforter ceux qui adorent la réduire...

En 1945, les patrons qui faisaient profil bas ont dû concéder la chose : "Ok, dans votre salaire, on vous rajoute de quoi vous garantir les allocs chômage, maladie et vieillesse. On prend ça à notre CHARGE, tournée générale !"
Dans l'euphorie, on a cru que c'était une façon de dire : le pays consacre une part garantie de la richesse qu'il crée pour la population "non active", que c'était garanti à vie.  Mais depuis la fin du plein-emploi, ça se complique, et on a du mal à admettre que le système présente un vice de forme.

Les "charges patronales", c'est bien pratique pour les patrons, ça fait charitable (ça entérine la confusion entre production de richesses de l'entreprise et le patrimoine du patron, comme si le patron donnait de sa poche) et une fois que les patrons ont acquitté cette "taxe" d'environ 42% sur la masse salariale, les voilà débarrassés de toute autre obligation sociale (ok y a l'impôt sur les sociétés, mais ça paie pas les retraites, c'est plutôt un gadget pour les grands groupes). Il faudrait simplement appeler ça "charges sur le salaire", ce serait plus exact.

Le vice de forme, c'est que quand une entreprise réduit ses effectifs, quand elle réduit sa masse salariale, elle va payer moins de taxe sur l'emploi : en quelque sorte, elle laisse le soin aux autres entreprises d'indemniser les chômeurs qu'elle vient de créer.
C'est cela le système de protection sociale actuel: un système de chacun pour soi mutualisé, dont la mécanique profite aux employeurs les moins vertueux . En gros un système qui récompense les pourvoyeurs du chômage de masse, qui pénalisent les créateurs d'emploi...

Il y a belle lurette qu'on ne peut plus dire que le pays consacre une part garantie de la richesse qu'il crée pour la population "non active".  L'approximation pourrait être valable si l'évolution de la masse salariale du pays avait suivi la progression du PIB. Dans les faits, comme tout porte à le croire depuis l'offensive de l'idéologie néolibérale sur les politique publiques dans les 80's, et avec la persistance du chômage de masse, il semble que le PIB annuel soit de plus en plus redistribué vers les revenus du capital et moins vers les salaires.
Les entreprises qui robotisent, ou qui délocalisent et réimportent n'ont pas à cotiser autant pour tous les "inactifs" du pays. Et aujourd'hui en augmentant le taux de cotisation, on continue à favoriser ces derniers, et à continuer à mettre la pression sur la population "active" résiduelle, à mettre la pression sur les employeurs vertueux qui paient correctement leurs employés.

Plaidoyer pour donner du sens à la croissance

Dans un monde où on remettrait les choses à l'endroit, c'est à dire que la finance serait au service de l'économie, et l'économie serait au service des gens, le problème serait vite résolu.
Il suffirait d'indexer nos prélèvements sociaux sur l'excédent brut d'exploitation des entreprises.
Cela signifierait que les entreprises contribueraient au financement des besoins sociaux à hauteur de leur performance financière. Cela signifierait aussi qu'une entreprise en difficulté n'aurait pas à payer ces cotisations si son résultat ne lui permet pas. Ainsi une entreprise ne pourrait pas déposer le bilan et licencier des gens si les cotisations sociales lui mettaient les comptes dans le rouge, comme c'est le cas actuellement. Par contre les entreprises qui auraient d'excellents rendements, parce qu'elles auraient "dégraissé" leur masse salariale, paieraient plein pot. Si on ne peut les obliger à avoir des stratégies de développement vertueuses pour l'emploi et le partage des richesses, autant qu'elle compensent en contribuant plus que les autres aux besoins collectifs, non?

L'Etat ajusterait ses taux de prélèvements aux besoins réels chaque année, qui tiendraient donc compte des fluctuations du PIB et des fluctuations de besoins de financement... Les revenus financiers ne pourraient être délivrés que si tous les besoins essentiels de la collectivité sont financés. Ainsi la croissance économique devrait suivre la prétendue insoutenable croissance démographique des inactifs pour permettre à chacun de maintenir son niveau de vie. Cela redonnerait du sens à notre action économique,  ("gagner plus" étant une finalité sémantiquement inepte et philosophiquement absurde) et une réelle pertinence à la recherche (ou pas) de productivité. Il s'agirait de produire plus ou moins de nos besoins réels, quelle drôle d'idée.

En attendant, on brouille les cartes, et les pistes

Au moment où je mets cet article sous presse de mon blog, l'information tombe sur mon téléscripteur : le gouvernement procède à une tambouille pas très claire sur les mécanismes d'imposition des entreprises, le patronat applaudit.

Une mesure semble aller dans le bon sens. On parle justement de prendre l'Excédent Brut d'Exploitation (EBE) comme assiette d'imposition des entreprises.
Mais faut en nuancer la portée.
3% c'est pas énorme, et ça compense la suppression d'autres taxes sur le Chiffres d'Affaires.

Et surtout ça ne compense pas l'autre nouveauté : la réduction de 3% de l'Impôt sur les Sociétés (IS) qu'on ferait mieux de baptiser "Impôt sur les Bénéfices des Sociétés", ce serait plus parlant pour le grand public. On baisse un impôt très juste (les entreprises qui font du bénéfice contribuent, les autres non), et au nom de la sauvegarde de notre système de retraites, on augmente les cotisations sociales employé/employeur (prélèvements sur la masse salariale donc)
On augmente la taxation du travail et on réduit la taxation du capital. On comprend que le Medef ne descende pas dans la rue aujourd'hui...



Ruée vers l'or gris

En attendant, on cause financement, mais on n'a toujours pas réglé le fond du problème. S'occupe-t-on réellement bien des évolutions de la société engendrées par le vieillissement de la population?
Notez l'absurdité : on a deux problèmes insolubles. Le chômage de masse, et la prise en charge des retraités. Dans un monde à but non lucratif, et où la fiscalité prélèverait les richesses à affecter aux inactifs en s'appuyant sur le PIB et non sur les seuls salaires, les gens actuellement sans emplois pourraient être employés par des associations pour rendre des services aux retraités, ce serait positif et gratifiant pour tout le monde. Cela créerait du lien social, des rapports un peu moins monétarisés, moins pollués par nos discussions sur le montant des allocations et les déficits.  Mais pour l'instant, non on ne l'envisage pas. ce ne serait sans doute pas "réaliste" (entendez pas "rentable"). D'ailleurs les économistes nous laissent entendre que ces deux populations sont un fardeau pour l'économie. Bref la puissance publique ne fait rien pour rapprocher ces deux populations "inactives".

Ah, on me dit dans l'oreillette que les capitalistes en mal de nouveaux marchés savent aussi transformer les problèmes en solution, c'est juste que c'est encore dans les cartons. Il vont plus ou moins réconcilier les jeunes et les vieux, mais à leur sauce.. La solution bien sûr c'est le marché. On demande à l'Etat de créer un marché là où y a un problème, et hop, y a plus de problème.
On va se ruer vers l'or gris !
Euh, faudra faire attention à ne piétiner personne, quand même...
Non non non je n'irais pas jusqu'à insinuer qu'on va s'occuper des petits vieux pour leur faire les poches, mais se ruer vers eux de la sorte traduit une drôle d'affection pour nos anciens. Ne peut-on pas envisager d'autres façons de se mobiliser sur des enjeux sociaux autrement qu'en ramenant tout à l'appât du gain?









Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

N'hésitez pas à m'enrichir de votre point de vue, surtout s'il est différent !